On accède au verger par une petite ruelle, adjacente à la maison de la famille Brasseur. Si on la poursuivait jusqu’à son terminus, on dépasserait la frontière avec la France pour aboutir à Landrichamps. Un chemin de contrebandier, comme on disait dans le temps. Quand la famille Brasseur a acquis la propriété, le verger n’était qu’un vaste buisson sans âme. Aujourd’hui, seul un vieux poirier subsiste. Il a d’ailleurs offert sa silhouette au logo « Les Saveurs du Verger ». Un vieil arbre encore bien vigoureux puisqu’il produit chaque année quelque 600 kg de poires à cuire. Au nom poétique, comme souvent les variétés ancestrales : Bonne Louise d’Avranches. Il peut geler jusqu’à – 4° quand il est en fleurs, sans trop craindre pour la récolte. Autrefois, près d’une trentaine de ces arbres agrémentaient les jardins de Felenne.
Depuis 15 ans qu’il partage son domaine avec des visiteurs venus d’un peu tous les horizons, Alain Brasseur commence toujours la visite par le plan d’eau. Rempli de truitelles qui se nourrissent exclusivement de moustiques, proposant chaque été un ballet virevoltant. Le petit étang, outre son côté apaisant, permet également aux abeilles de s’approvisionner en gouttelettes, dans une noria aérienne, pour « climatiser » leur ruche.
Dans un savoureux mélange de jardins à la française et à l’anglaise, le verger des Brasseur est divisé, dans sa première partie, par des rangées de buis. Le but n’est pas seulement esthétique. Les rangées de buisson ainsi créées offrent un abri aux fleurs comestibles et aux plantes aromatiques lorsque souffle le vent froid venu du nord. La pelouse est superbe, grâce au Patenkali (un engrais minéral 100% naturel), généreusement lancé avec le geste élégant du semeur, en novembre puis mars. On découvre des plants d’absinthe, à la sulfureuse réputation, mais surtout véritable insecticide naturel contre les pucerons. La plante chère à Rimbaud protège ainsi les plans de sarriette, de romarin, de ciboulette, de thym, d’origan italien, … ainsi que toutes les fleurs comestibles du verger (la Capucine, la Bourrache, le Lis d’un jour, la Pensée, le Souci, la Rose et tant d’autres…). Les herbes aromatiques seront retaillées toutes les six semaines environ, avant d’être effeuillées à la main, puis séchées avant de se transformer, par le miracle des mains d’Annick, en élégant et savoureux mélange d’épices pour les vinaigres et les huiles. Le promeneur découvre au fil de sa promenade, de l’oseille, différentes menthes, de l’helichryse (également nommée « immortelle d’Italie » ou plus prosaïquement « plante à curry ») qui viendra bien à point pour fabriquer, plus tard dans la saison, le fameux vinaigre de cidre aux tomates.
Les parcelles sont soigneusement paillées avec du chanvre pour conserver l’humidité, empêcher les mauvaises herbes de se développer. Sans oublier qu’il s’agit d’un répulsif naturel contre les limaces. Certaines des plantes ont été dénichée lors de vacances de la famille Brasseur. Telle l’Armoise cola, trouvée en Allemagne, et parfaite pour aromatiser naturellement les sirops. Au fil des rencontres, Alain Brasseur a ramené dans son verger des fruits oubliés : des vieux muriers, de la Casseille (pour les sirops mais aussi les pâtes de fruit) ou encore l’arbre à champignons (pour les tartinades).
Tous les déchets organiques du verger sont broyés et compostés. Ici, on travaille avec les saisons, la lune. Le Label bio n’a pas été demandé car Alain Brasseur va plus loin encore. En suivant les préceptes de la biodynamie qui, en résumant très fort, vise à créer du lien entre le sol, la plante et monde animal, mais aussi le verger dans son ensemble. Illustration par les haricots à rames, qui offriront aux courgettes l’ombre nécessaire durant les heures les plus chaudes de la journée, tandis que les tomates rougiront sur les pieds en s’enivrant de soleil.
Chaque jour, été comme hiver, Alain se lève à 5h00 sans réveil. Son verger l’appelle. Cet endroit, il en a rêvé pendant des années. Le façonnant dans sa tête avant de pouvoir l’acquérir. Quand il arpente fièrement les allées du verger, jusqu’à pénétrer dans la magnifique serre récemment érigée, il pense encore à Camille et Marie Collaux, des grands-parents adoptifs qui lui ont transmis la connaissance et la passion.